Trésor d'archéo
De très nombreux fragments de pipes à tabac en terre cuite ont été mis au jour à Brouage ainsi que des graffitis.
Nom d'une Pipe !
Nadine Béague, archéologue, Léa Picard technicienne spécialisée en glyptographie
Objet du mois
Le tabac, la pipe et le fumeur
Date et lieu de la découverte
Juillet 2024 à Marennes-Hiers-Brouage et Fort-Boyard
Datation de l’objet
XVIIIe-XIXe siècles
Par qui ?
Le Service d’Archéologie départementale
Contexte de la découverte
Deux opérations récentes d'archéologie préventive menées à Brouage durant l’été 2023 et Fort-Boyard en juillet 2024.
"J’ai du bon tabac dans ma tabatière…"
La chanson était populaire en France au XVIIe siècle lorsque Colbert fit de la production et du commerce du tabac un monopole royal. Le tabac était inconnu en Europe avant la découverte de l'Amérique en 1492. D’abord cultivé au Portugal à partir de 1520, il parvint en France par l'intermédiaire de Jean Nicot, ambassadeur au Portugal, qui le proposa à des fins médicinales à Catherine de Médicis, reine de France en 1561. Il était alors chiqué ou respiré sous forme de poudre. Lorsqu’il devint à la mode de fumer avec une pipe à la Cour de Louis XIII (1601-1643), le tabac devint rapidement populaire en Europe et dans le monde entier.
La pipe
Composée de deux parties principales : le fourneau et le tuyau, la pipe à tabac est fabriquée de façon artisanale, puis industrielle, à partir de la bruyère, de l'argile, voire de l'écume de mer ou de la porcelaine. Du XVIIe siècle au XIXe siècle, la plus grande part des pipes françaises dites "pipes en terre" était faite d'argile.
Pour façonner le tuyau, une tige métallique était insérée dans un boudin d'argile roulé à la main. Puis la pièce était placée dans un moule en métal et passée sous une presse afin de former le fourneau de la pipe. Avant la cuisson, l’intérieur du fourneau était évidé et la tige métallique ôtée. Mis à refroidir, l'objet était façonné par l'artisan qui en ôtait les défauts (coulures d'argile, grains…).
Les deux principaux centres français de production des pipes en terre étaient Givet (les pipes Gambier) et Saint-Omer.
- La Maison Gambier, fondée en 1780 à Givet, ouvrit des bureaux de vente à Paris en 1848. Son catalogue de plus de 1 600 modèles constitue un témoignage original sur la société du XIXe siècle et XXe siècle, et sur l'art populaire.
- Les pipiers de Saint-Omer. Deux manufactures firent la renommée mondiale de Saint-Omer : celle fondée par Thomas Fiolet en 1765 et celle dirigée par Constant Duméril à partir de 1845. Duméril exporta dans la France entière et dans les colonies françaises, ainsi qu'en Australie et en Amérique. Les piperies fermèrent leurs portes en raison de la concurrence de la cigarette, des cigares et de la pipe en bois.
De très nombreux fragments de pipes à tabac en terre cuite provenant de ces deux piperies ont été mis au jour à Brouage. Les fragments de tuyau sont nettement plus nombreux que les fourneaux, qui sont très rarement exhumés lors de fouilles archéologiques. Les exemplaires de Brouage proposent un panorama des modèles peu chers en vogue au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Les pipes pourvues d'un talon étaient les plus populaires d'après le fabricant en 1840.
Des fleurs de lys, des ocelles ou des cercles décorent l'extrémité du tuyau, autant de décors qui permettent de dater les pipes en terre, qui sont des objets fragiles et fugaces comme une cigarette de nos jours.
des graffitis prouvent l'utilisation de la pipe
Principalement destinées à abriter les hommes de troupe, les fortifications de Brouage et Fort-Boyard ont dû accueillir autant de fumeurs que de soldats désœuvrés avant l'éventuel "casse-pipe". Si les fouilles archéologiques menées à Brouage ont permis de mettre au jour des dizaines de tuyaux de pipe, d'autres vestiges du passé peuvent aussi resurgir au détour d'une opération archéologique du bâti, ce sont les graffiti.
Le graffiti présente un double intérêt : il témoigne à la fois de la vie quotidienne des occupants de ces fortifications militaires et de la façon dont ces individus se voyaient. Le fumeur de pipe est un portrait de l'humanité, l'archétype de l'attente. L’attente par exemple entre deux voyages en mer. Ainsi, l’un des graffiti des latrines de Brouage représente un personnage au nez proéminent et au corps rectangulaire avec des bras longilignes. Un indice sur son milieu professionnel est donné par le petit navire incisé juste au-dessus de sa casquette. Ce marin tient en bouche une pipe au long tuyau et fourneau carré.
L’autre fumeur de pipe de Brouage, également gravé dans les murs des latrines, est plus gracile, notamment par sa position avec une main posée sur la hanche et l’autre tenant l’instrument. Vêtu d’une cape et coiffé d’un chapeau pointu à franges, est-il un homme d’église ou bien une caricature ? Le temps entre les missions ou les voyages était long et il était nécessaire de le faire passer, soit en fumant, soit en prenant le temps de tirer le portrait de son voisin.
Le tabac et les pipes suivent les soldats jusque sur le Fort-Boyard. Au détour d’un couloir, en éclairant le mur, un petit personnage fumant apparaît. Sa pipe est recourbée, d’un modèle différent de celui de Brouage. Son chapeau tout en hauteur et en plumes, un shako, indique son appartenance à un corps d’armée du XIXe siècle. La date incisée « 1880 » recoupe d’ailleurs le graffiti du fumeur. La patience est de mise sur le Fort, et encore aujourd’hui le visiteur n’oublie pas son nécessaire pour s’occuper l’esprit lors des temps de pause.