Les tribunes de l'innovation

Les tribunes internationales de l’innovation publique organisées par le Département permettent de découvrir et échanger autour des dispositifs d’action publique mis en place dans d’autres pays, notamment européens.

Au programme de La tribune de l'innovation 2024 "De la généalogie au tourisme de racines"

La 2é édition des Tribunes Internationales de l'Innovation aura lieu en décembre 2024 à la Maison de la Charente-Maritime à La Rochelle en présence de 3 intervenants français et internationaux :

Laurence ABENSUR-HAZAN, généalogiste française et Vice-Présidente de l’Alliance syndicale des professionnels de la généalogie, portera un regard averti sur les tendances actuelles de la généalogie : ses outils, son public, ses enjeux et son avenir… ;
Claude BOUDREAU, Acadien, fondateur des "Voyages DiasporAcadie", une agence spécialisée pour les Nord-Américains qui désirent découvrir les lieux de la diaspora acadienne, interviendra pour présenter l’état des lieux de la généalogie des Acadiens et leur intérêt fort pour la France ;
David CLEARY, Irlandais, Directeur commercial du Musée de l’Emigration Irlandaise à Dublin (EPIC), parlera de l’histoire de l’émigration des Irlandais et du développement des produits de généalogie sur mesure pour les descendants de la diaspora irlandaise aux États-Unis, Canada, Grande-Bretagne, Australie et Nouvelle Zélande.

retour sur La tribune de l'innovation 2023 : "Protection de l’enfance : regards croisés sur les alternatives au placement"

La 1ère édition des Tribunes Internationales de l’Innovation intitulée "Protection de l’enfance : regards croisés sur les alternatives au placement" a eu lieu le 1er décembre 2023 à la Maison de la Charente-Maritime à La Rochelle en présence de 3 intervenants français et internationaux :

Philippe FABRY, éducateur spécialisé, psychosociologue, formateur en travail social et analyste des pratiques.
Il a participé à l'analyse comparative des systèmes de protection de l'enfance en France et à l'international, concernant notamment la question du recours au placement et la place des familles dans l'accompagnement des enfants confiés.
Carl LACHARITÉ, psychologue de l'enfant et la famille et professeur émérite de psychologie à Université du Québec à Trois-Rivières.
Ses travaux servent de fondements au développement de services intégrés face à la négligence envers les enfants. Pour cette tribune, il a évoqué les différents programmes mis en oeuvre sur le terrain au Québec.
Chiara SITÀ, professeure en sciences associée à l'Université de Vérone (Italie). 
Elle fait partie du groupe scientifique en charge du programme italien P.I.P.P.L (Programme d'intervention pour Prévenir l'institutionnalisation de l'enfant). Son intervention a porté sur l'expérience du programme et sur la définition des lignes nationales pour l'accompagnement des enfants et familles en situation de vulnérabilité.

Ce rendez-vous a permis à plus de 191 professionnels de bénéficier d’échanges constructifs autour de la problématique suivante : dans un contexte de saturation des places en établissement ou en famille d’accueil, quelles alternatives au placement sont mise en œuvre dans d’autres pays, notamment en Italie et au Québec (Canada) ? 

Compte-rendu de la Tribune

Présentation des domaines de recherches respectifs des intervenants

Chiara SITA évoque qu’un des champs de recherche du Programme d’Intervention pour Prévenir l’Institutionnalisation (P.I.P.P.I) porte sur les relations entre les familles vulnérables et les professionnels : une relation de pouvoir qui pose souvent des défis. Selon elle, l’objectif des professionnels devrait non seulement produire des résultats en faveur des enfants mais aussi favoriser le processus de participation et d’auto détermination des familles.  

Philippe FABRY décrit ses réflexions sur une différence importante entre le système de la protection de l’enfance français et les autres pays européens, notamment la durée du placement, les besoins fondamentaux des enfants en difficulté, les familles d’accueil et la conséquence pour un enfant déplacé à longue durée, dans le cadre de ses analyses des pratiques dans différents pays à travers ses voyages d’études et à travers son regard nourri de ses fonctions actuelles et passées d’éducateur spécialisé, de sociologue et de formateur dans le secteur social.  

Carl LACHARITE présente les recherches qu’il a menées sur les "négligences" subies par les enfants. La recherche dans ce domaine est moins développée que l’étude des situations d’abus physiques et sexuels. Ses travaux de recherche portaient sur l’émergence de ces négligences, l’évolution des enfants souffrant de négligences et la réaction des professionnels du secteur social face à de tels faits.  

Les systèmes d’accueil dans les différents pays occidentaux : La France pourrait-elle s’en inspirer ?  

Philippe Fabry propose une analyse sur les pays occidentaux en relevant deux systèmes différents :

  • l’adoption ;
  • le tiers digne de confiance (confier les enfants aux proches).

Les pratiques différents entre le monde anglo-saxons (Québec, Amérique du Nord et Angleterre) et l’Europe (Belgique, Suisse, Allemagne et une grande partie de l’Europe du Nord).  

Face à l’augmentation de nombre d’interventions sociales au sein des familles, les pays répondent différemment. L’Angleterre propose une désinstitutionalisation de la protection de l’enfance d’une manière brutale par la durée limitée des placements et la bascule très rapide vers des projets d’adoption. Au contraire, la durée des placements est sans limite. Les pays d’Amérique du Nord dont le Québec recourent également à l’adoption en protection de l’enfance dans les situations les plus complexes, notamment quand les parents présentent des risques élevés.  

Certain pays d’Europe se sont inspirés du système de la désinstitutionalisation québécoise. La Belgique, la Suisse, l'Allemagne et une grande partie de l'Europe du Nord utilisent un système hybride intermédiaire entre placement et adoption, le confiage. Ce dernier s’est développé depuis 30 ans. Il applique la théorie des cercles, qui consiste à apporter un soutien plus important aux parents pour élever leurs enfants, puis à utiliser les ressources de l’entourage (deuxième cercle) et enfin de la communauté (troisième cercle). Aujourd’hui 90% des enfants nécessitant un placement sont confiés à des proches en Espagne, deux sur trois en Belgique, 50% en Italie.

Selon Philippe FABRY, la durée de placement doit être réduite en France. Nous devons travailler sur l’article 20 de la Convention Relative aux Droits de l’Enfance qui précise les lignes directrices de l’ONU concernant la protection de remplacement et définit les étapes d'un retour à domicile réussi pour les enfants placés.

Carl LACHARITE relève l’importance de la responsabilité collective. Au Québec, la loi de la protection de la jeunesse vise à renforcer en amont cette responsabilité collective autour d’un enfant. Elle intervient en cas de mise en danger de l’enfant (sécurité et le développement de l’enfant), mais propose d’abord de maintenir l’enfant à son domicile.  

En cas de placement, le dispositif  "Ma famille, ma communauté" propose des conférences familiales pour mieux comprendre les défis de l'enfant. L'enfant reste généralement dans sa communauté, ce qui explique les chiffres suivant : 52% des enfants restent à domicile sous la protection de la jeunesse, 23% des enfants sont placés chez des familles d'accueil composées de personnes de la communauté, et non de professionnels et 16% sont placés chez des tiers dignes de confiance, appelé "familles d'accueil de proximité" au Québec.

Chiara SITA évoque que depuis le processus de désinstitutionalisation en 2000 en Italie, les grands établissements d’accueil sont fermés et remplacés par des structures résidentielles de petite taille. Ces structures sont gérées aujourd’hui par des petites communautés de professionnels.  

En ce qui concerne les familles d’accueil, contrairement à la situation en France, ce ne sont pas des professionnels, mais des membres repérés de la famille parmi le réseau de proximité des enfants ou le réseau de familles bénévoles. Ils bénéficient d’une formation, d’une indemnité financière et ils sont suivis par les services sociaux.  

Grâce à l’application du Programme d'Intervention pour Prévenir l'Institutionnalisation (P.I.P.P.I), les dispositifs de proximité solidaire se sont développés considérablement. En Italie, en cas de difficultés familiales, les professionnels de la protection de l’enfance activent une recherche aux alentours de la famille et de l'école de l'enfant, des personnes qui peuvent assumer cette fonction de proximité solidaire. Selon les dernières données, 30 000 enfants sont placés en Italie : 25% est chez les familles d’accueil, 25% dans la parenté et 50% des enfants sont placés dans les structures résidentielles gérées par les professionnels.  

Comment évaluer les besoins des enfants et des ressources familiales dans les différents systèmes ?  

Le système d’évaluation des besoins des enfants québécois et italiens est basé sur le référentiel "monde de l’enfant". Au Québec, chaque territoire dispose d’un service public "socio-sanitaire" qui apporte une réflexion collective à l’égard des enfants et des familles. Ce dernier organise diverses formes de concertations intersectorielles qui permettent de mieux identifier les besoins des enfants.  

Par ailleurs, de nombreuses formations sont mises en place. Les outils ont été créés conjointement par des chercheurs et des professionnels. Ils ont ensuite été appliqués et évalués à la grande échelle. Les parents et les professionnels s’appuient sur ces outils afin d’aider les enfants à progresser. La participation des parents lors de ces démarches est indispensable.  

En Italie, le système d’évaluation des besoins des enfants et des ressources familiales s’est inspiré du modèle québécois. Le Programme d'Intervention pour Prévenir l'Institutionnalisation (P.I.P.P.I) propose deux évaluations sur une durée de 18 mois, à partir d’un signalement, dont une évaluation effectuée au début de l’intervention et une autre effectuée après l’intervention afin de prendre en compte les changements dans les différentes dimensions du "Monde de l’enfant".  

Cet outil a été conçu par le ministère du Travail et des Politiques Sociales Italien avec comme objectif :

  • d’améliorer la pertinence et de réduire le taux de placements à travers un travail de requalification des compétences parentales : mettre en avant la notion d’implication des parents et valoriser les ressources parentales ;
  • d’expérimenter une alternative aux placements pour les enfants négligés à travers une approche intensive et de courte durée (18 mois) de prise en charge de la famille entière ;
  • de construire une communauté multi-professionnelle en impliquant les services sociaux, de santé et éducatifs. 

Ce programme propose aussi une approche de responsabilité partagée.

En Belgique, un outil appelé "le fil rouge" est largement utilisé et partagé par les professionnels du secteur. L'Office de la Naissance et de l'Enfance (ONE), équivalent de notre PMI, a beaucoup investi et se charge du recrutement des bénévoles bien formés et expérimentés. Comme au Québec, la Belgique valorise la ressource citoyenne. Cette méthode est bien illustrée dans le court-métrage ou site internet "le Petit Vélo jaune".  

En Espagne, la loi de protection de l’enfance oblige à exploiter toutes les ressources pour éviter le placement : les parents, les proches, l'environnement et même les voisins peuvent être ressources.   

Selon Philippe FABRY, de nombreux outils cliniques ont été créés en France, malgré cela, peu d’outils communs sont partagés par les professionnels. Il faudrait donc travailler ensemble pour favoriser l'échange entre professionnels et citoyens dans des projets de territoire. De surcroit, l’environnement familial reste encore une ressource inexplorée en France.  

Lors des échanges avec le public, les débats ont porté sur la méfiance envers les proches qui existe encore en France. Il semble difficile de mettre en place un appel aux tiers dans des entourages souvent fragilisés eux-mêmes. Chacun souligne pour autant, à travers les échanges des intervenants que le nombre des placements réduit grâce aux ressources familiales et à un accueil durable bénévole. Il semble qu’il est temps de réfléchir sur les alternatives au placement en France.  

Selon Philippe FABRY, une autre spécialité en France, est la complexité de l’articulation entre l’Aide Sociale à l’Enfance et la justice quant à la prise de décision. Deux lois françaises ont été adoptées en 2016 et 2022 afin d’importer les modèles des conférences familiales qui a permis de réduire en moyenne 20% de placements en Europe. Malgré les mécanismes existants, les instances prennent rarement la décision de tenir une conférence familiale.  

Au Québec, la décision de placement est prise par une équipe comprenant les personnes concernées par l'enfant dont les membres de la famille et du voisinage comme précisé dans le programme "Ma famille, ma communauté". Cette méthode pourrait peut-être nous inspirer.

Comment gérer la "prise de risque" en protection de l’enfance ?  

Selon Carl LACHARITE, la meilleure façon de gérer les risques, c’est de les partager. La responsabilité et le risque ne devraient pas être assumés seulement par la personne désignée comme responsable de l'enfant dans le dispositif de protection de la jeunesse.

Philippe FABRY évoque que le problème majeur de l’institutionnalisation survient lorsque l’on se sent excessivement responsable. La peur du risque peut créer des tensions inévitables dans le travail social. Selon Edgar Morin, ces tensions sont dialogiques et il n’y a pas de bonne solution a priori. Il est nécessaire de penser une balance entre les risques du maintien dans la famille et les risques liés au placement.  

En Conclusion

Conclusion de Marie-Christine BUREAU, Conseillère départemental déléguée en charge de la petite enfance, de la prévention et de la protection de l’enfance :  
Les systèmes mis en place dans les différents pays résultent d’une histoire longue, propre à chacun, et de caractéristiques idéologiques concernant l’enfant et la famille. Cette tribune illustre la problématique complexe de l’augmentation des demandes de placements pour le monde de la protection de l’enfance, il peut être précieux de s’inspirer des actions positives. Le système parfait n’existe pas, tout cependant peut être repensé et amélioré.   

Au regard des exemples présentés par les intervenants pendant cette Tribune, les ressources familiales pourraient être une ressource pertinente à exploiter en premier lieu.  

La prise de risque est un aspect crucial en protection de l'enfance. Cependant, il ne s'agit pas de mettre l'enfant en danger mais plutôt de prendre des décisions concernant son placement en prenant des risques, mais mesurés.

L’important est d’avoir réfléchi collectivement, d’avoir pesé tous les bénéfices mais aussi les risques et d’avoir la conviction qu’au moment où l’on prend la décision, celle-ci nous semble être la meilleure/l’une des meilleure pour l’enfant.