Tribunes internationales de l'innovation
Organisées par le Département, elles permettent de découvrir et échanger autour des dispositifs d’action publique mis en place dans d’autres pays, notamment européens.
Ces rendez-vous professionnels offrent une occasion d’échanges avec des homologues internationaux afin de :
- découvrir les dispositifs d’action publique dans d’autres pays, notamment européens ;
- d’échanger sur ces dispositifs entre acteurs du service public ;
- d’amorcer une réflexion autour de nos propres actions ;
- et de créer des liens entre experts à l’échelle internationale.
L'édition 2025 portera sur le sujet de l'autonomie.
Retour sur la tribune de l'innovation 2024 : "de la généalogie au tourisme de racines"
La 2é édition des Tribunes Internationales de l'Innovation a eu lieu le 6 décembre 2024 à la Maison de la Charente-Maritime à La Rochelle en présence de 3 intervenants français et internationaux :
Laurence ABENSUR-HAZAN, généalogiste française et Vice-Présidente de l’Alliance syndicale des professionnels de la généalogie, portera un regard averti sur les tendances actuelles de la généalogie : ses outils, son public, ses enjeux et son avenir… ;
Claude BOUDREAU, Acadien, fondateur des "Voyages DiasporAcadie", une agence spécialisée pour les Nord-Américains qui désirent découvrir les lieux de la diaspora acadienne, interviendra pour présenter l’état des lieux de la généalogie des Acadiens et leur intérêt fort pour la France ;
David CLEARY, Irlandais, Directeur commercial du Musée de l’Emigration Irlandaise à Dublin (EPIC), parlera de l’histoire de l’émigration des Irlandais et du développement des produits de généalogie sur mesure pour les descendants de la diaspora irlandaise aux États-Unis, Canada, Grande-Bretagne, Australie et Nouvelle Zélande.
Sylvie MARCILLY, la Présidente du Département, ouvre les débats. Elle rappelle que la Charente-Maritime possède une grande expérience en termes de coopération internationale et à ce titre, souligne que l’objectif des Tribunes Internationales de l’Innovation est de partager des expériences et de s’inspirer des bonnes pratiques. Elle évoque l’idée de création d’un Centre International de la Généalogie à Brouage, souhaitant que prochainement, la situation financière du Département le permettra.
Cécile LEFORT, l’animatrice prend ensuite la parole et présente les 3 intervenants de la conférence :
Laurence ABENSUR-HAZAN, la première à intervenir, met en lumière l’évolution fascinante de la généalogie :
L’intervenante évoque d'abord l'histoire de la généalogie en remontant au Moyen Âge où elle était liée aux questions de propriété foncière, de parenté et d'union matrimoniale dans le cadre des héritages.
Au cours des deux à trois dernières décennies, la généalogie s'est considérablement popularisée. Longtemps prisée principalement par un public âgé, aujourd’hui, la discipline intéresse de plus en plus de jeunes et d’actifs grâce, notamment, à l'intégration de nouvelles technologies et d'applications modernes. Les sources de données utilisées pour ces recherches incluent des archives publiques et privées, désormais largement accessibles en ligne, ce qui a simplifié la tâche des chercheurs amateurs. Les archives départementales, telles
que celles de la Charente-Maritime, ont facilité l’accès à des fonds numérisés, attirant de nouveaux publics pour la généalogie. Des réseaux de communication se développent entre passionnés.
Les motivations derrière la recherche généalogique sont variées, allant de la simple curiosité à des préoccupations plus profondes liées aux migrations. Ce phénomène touche aussi bien les Français ayant des racines à l'étranger que les descendants de Français vivant hors de France. Pour les descendants de migrants, la recherche de leurs racines devient un voyage fascinant, souvent accompagné d'une ouverture d'esprit et d'une volonté de comprendre l’histoire de leurs ancêtres.
Les acteurs de la généalogie sont divers :
- Les associations historiques, comme la Fédération française de généalogie, qui représente les généalogistes amateurs ;
- Les archives ;
- Les acteurs commerciaux, tels que Philae et Geneanet, jouent également un rôle central en offrant des services et des plateformes pour les recherches généalogiques.
Les tests ADN, bien qu’ils ne soient pas légaux en France pour des recherches généalogiques, sont une composante importante de la généalogie à l’échelle mondiale. Ces tests permettent à de nombreuses personnes de découvrir des éléments surprenants sur leurs origines, ce qui les incite à approfondir leur quête généalogique.
Les acteurs du domaine se rencontrent lors de nombreux salons, comme celui de Paris, organisé par Archives et Cultures, où les passionnés peuvent échanger des informations et partager leurs découvertes. L’évolution de la généalogie se caractérise par une meilleure communication entre généalogistes, avec un désir croissant de partager leurs recherches. Les récits issus de ces recherches sont publiés, offrant des enseignements à ceux
qui souhaitent se lancer dans l’aventure généalogique.
Enfin, l'intérêt pour le tourisme mémoriel, où les descendants visitent les lieux d'origine de leurs ancêtres, témoigne de l'impact émotionnel de cette quête. Chaque découverte et chaque document ancien renforcent le lien avec le passé, faisant de la généalogie un domaine vivant et dynamique, qui relie l'histoire familiale à la culture.
À l’issue de son intervention, Laurence ABENSUR-HAZAN soulève des questions intéressantes sur la transmission de la généalogie et l’engagement des jeunes générations dans ce domaine. Sa question à Claude BOUDREAU porte sur l’âge des participants aux voyages généalogiques qu’il propose, ainsi que sur la manière dont ils découvrent leurs racines.
Cela suggère une réflexion sur les méthodes utilisées pour intéresser les jeunes à la généalogie, comme l’utilisation des technologies modernes ou des voyages mémoriels pour renforcer leur lien avec leurs ancêtres et allier tourisme et histoire familiale.
La question adressée à David CLEARY concerne spécifiquement les descendants irlandais, en particulier ceux des générations plus anciennes. Laurence ABENSUR-HAZAN se demande si, après trois ou quatre générations, ces descendants restent conscients de leurs racines irlandaises, y sont encore attachés et, dans l’affirmative, comment cet attachement se manifeste-t-il au fil du temps ? Cette question soulève l’importance de la préservation de l’identité culturelle au sein de la diaspora et de la manière dont les descendants maintiennent
ou renouent avec leurs origines à travers des pratiques familiales, des traditions ou même des
recherches généalogiques.
Claude BOUDREAU partage son expérience du développement du tourisme de racines en relevant le potentiel du marché nord-américain pour la France :
Claude Boudreau souligne l'importance cruciale de la généalogie pour les Acadiens, non seulement pour connaître leurs ancêtres, mais aussi pour comprendre leurs origines profondes.
L'Acadie a été fondée par Samuel de Champlain et peuplée principalement par des migrants originaires de la Charente-Maritime (Brouage, Rochefort, Royan et La Rochelle) et d’autres régions françaises.
L'un des événements les plus marquants de cette histoire est le "Grand Dérangement" de 1755, lorsqu'une grande partie de la population acadienne fut déportée de force. Environ 10 000 Acadiens ont été dispersés vers plusieurs destinations, dont les États-Unis, en particulier la Louisiane, l’Angleterre, la France, et d'autres territoires.
Cet événement traumatique marque le début de la diaspora acadienne, dont les conséquences se ressentent encore aujourd'hui dans les communautés acadiennes disséminées aux quatre coins du monde :
- Dans les provinces atlantiques du Canada, la population des Acadiens représente
aujourd’hui environ 350 000 habitants.
- Plus d'un million de Cajuns en Louisiane descendent également des Acadiens.
- Au Québec, les descendants des Acadiens représentent environ la moitié de la population québécoise, soit 3 et 4 millions.
Le tourisme de racines a émergé grâce à des expatriés souhaitant renouer avec leur pays d’origine. Ce phénomène devient indispensable pour les Acadiens afin de maintenir un lien avec leur histoire et leur culture.
Claude Boudreau a créé "Voyages Diasporacadie", une agence de voyage qui aide les Acadiens à découvrir leur terre ancestrale et à rencontrer des descendants d’ancêtres communs. Les voyageurs sont, pour la plupart, des jeunes retraités soucieux de transmettre leur généalogie à leurs enfants. Une tendance croissante se développe autour de l'implication des jeunes générations dans des échanges culturels entre l'Acadie, la France
et la Louisiane.
Claude Boudreau souligne également qu’historiquement, environ 80 % des Français, ayant émigré vers le Nouveau Monde, sont passés par La Rochelle, ce qui ouvre un énorme potentiel de découvertes généalogiques et autres traces historiques pour la Charente-Maritime.
Pour Claude Boudreau, il serait exceptionnel d'avoir un monument de l'Odyssée acadienne en Charente-Maritime afin d’attirer de plus en plus d’Acadiens d’Amérique du Nord. À la fin de son intervention, Claude Boudreau adresse une question à Laurence Abensur-Hazan : il est important de persévérer dans la recherche généalogique, même face à des obstacles. Quel conseil donnerait-elle à quelqu'un qui se sent bloqué ? Comment éviter le découragement ?
Sa question à David Cleary est : quel stéréotype sur les Irlandais aimeraient-ils que les gens oublient ?
David CLEARY dévoile le succès de la création d’offres touristiques liées à la généalogie en rapport avec l’histoire de l’émigration irlandaise par le Musée de l’Émigration irlandaise (EPIC) :
L’intervenant précise que les Irlandais portent une grande attention aux histoires familiales d’émigration donnant vie au patrimoine et à l’héritage irlandais. Dans ce contexte général, L’EPIC, ou "Every Person Is Connected", le Musée de l’Emigration Irlandaise situé à Dublin, a été fondé en 2016.
Ce musée entièrement numérisé propose deux parties : une partie historique sur l'émigration de 10 millions d’Irlandais (dans le monde, États-Unis, Canada, France, Allemagne, Argentine…) et une autre partie centrée sur la généalogie. Celle-ci vise à mettre en valeur l’histoire des émigrations irlandaises tout en soulignant la richesse du patrimoine et en établissant des connexions entre individus par le biais de la généalogie.
La communication joue un rôle essentiel au sein de la recherche des clients :
- Le musée partage les récits d’émigrations des personnalités célèbres, telles que Kennedy, Murphy etc., afin de sensibiliser un vaste auditoire ;
- La communication via les plateformes de médias sociaux comme Tik Tok, Instagram et autres pour captiver la jeune génération.
De nombreux dispositifs sont proposés pour simplifier les recherches des visiteurs. Le musée a conçu une vingtaine de salles d’animations accessibles de manière autonome, permettant aux visiteurs de l'explorer à leur propre rythme. Des généalogistes, sur la base de forfaits payants, sont mis à disposition par le musée pour assister les visiteurs dans leurs recherches.
Grâce à la généalogie, le musée prépare en avant et peut accompagner les visiteurs en visite dans les lieux précis où ont résidé leurs ancêtres.
Fort de son expérience, le musée parvient à augmenter le flux de visiteurs et offre des propositions personnalisées. Le musée attire plusieurs centaines de milliers de visiteurs chaque année.
Parallèlement, le musée élabore des tactiques de marketing pour éveiller la conscience de leurs origines des descendants de la diaspora irlandaise à travers le monde. L'intervenant mentionne l'exemple réussi du développement sur le marché américain. 32 millions de descendants de la diaspora irlandaise résident aux Etats-Unis. Face à ce marché considérable, le musée collabore avec des partenaires commerciaux américains pour communiquer sur la généalogie des personnalités connues, comme Joe Biden, Barack Obama, Tom Cruise, Shania Twain.
Ces personnalités deviennent des ambassadeurs du musée. Ce message capte l’intérêt des descendants de la diaspora irlandaise aux Etats-Unis. Par la suite, le musée met en avant ses compétences en recherche généalogique et propose des services accessibles à tous.
Le musée apporte des réponses au désir des Américains de comprendre leurs racines et localiser le lieu d'origine de leurs ancêtres. Le musée invite ces individus à explorer l'histoire de leurs ancêtres avec le soutien des experts en généalogie. Grâce à des recherches et des visites sur le terrain, ils établissent un lien avec les membres de leur famille et partagent une histoire et un patrimoine communs.
L'essor du tourisme de racines est stimulé par une demande accrue. Le musée collabore avec divers partenaires, comme les généalogistes, les entités locales du tourisme, les archivistes et les agences de voyage, afin de constituer un vaste réseau de ressources.
Travailler en collaboration avec la compagnie aérienne nationale d'Irlande (Aer Lingus) s'est avéré fructueux. La compagnie les inclut dans sa stratégie publicitaire et offre des parcours personnalisés en fonction des exigences des clients.
L'idée principale est de susciter cet intérêt dès que les gens commencent à planifier leur voyage. Le musée, grâce à la généalogie, est en mesure d'orienter les visiteurs vers les lieux précis où résidaient leurs ancêtres. Cela offre aux visiteurs l'opportunité de se plonger dans l'histoire familiale et dans la culture irlandaise.
Échanges avec le public :
Le public présent, une cinquantaine de personnes, montre de l’intérêt lors des échanges. En répondant aux questions, David CLEARY précise que le musée engage 4 à 5 généalogistes à temps plein. D’autres sont des retraités qui contribuent sur leur temps libre. Il n’existe pas de cercle de généalogie, mais des liens informels entre les généalogistes du musée et les communautés.
En ce qui concerne les bases de données, il indique que l'accès aux archives est complètement numérisé en Irlande. Certaines archives se trouvent aussi au Royaume-Uni, en France et aux États-Unis. Certaines archives peuvent être difficiles d'accès selon les États américains.
David CLEARY ajoute qu’effectivement, il y a beaucoup de stéréotypes sur les Irlandais. Le musée souhaite raconter une véritable histoire avec le slogan "nous ne sommes pas juste associés aux pommes de terre, à la bière ou au trèfle". Ils cherchent à raconter leur véritable histoire et d'où viennent ces stéréotypes. Si ces stéréotypes ont eu un impact sur la vie quotidienne des Irlandais, ils sont aussi des poètes, des écrivains, des leaders et des sportifs. Le musée doit raconter leurs histoires de migration et de déportation pour montrer qu'ils sont bien plus que ces stéréotypes.
En ce qui concerne le tarif d’un service de recherche généalogique, le musée propose différents forfaits selon le temps de travail de recherche des généalogistes. L'idée est de les encourager à approfondir.
David CLEARY évoque qu’il n'y avait pas au départ de stratégie marketing autour des personnalités issues de la diaspora irlandaise. Quand le musée a compris le pouvoir d'attraction du public qu’avaient ces histoires de personnalités, il a été mis en place des actions concrètes. Par exemple, pour le concert de Shania Twain à Dublin, le musée lui a offert une guitare décorée de son arbre généalogique.
Laurence ABENSUR HAZAN précise que le coût d’une recherche généalogique en France est variable. Généralement, les tarifs dépendent de l'expérience du généalogiste et de la disponibilité des sources. Une journée de recherche coûte environ 300€, mais certains peuvent demander plus, et la durée peut varier. Il faut prendre en compte le temps passé sur les archives et la mise en forme des résultats, même s'ils sont négatifs. Il existe des tarifs horaires ou forfaitaires, surtout pour retracer des générations à partir de sources de base. Les coûts peuvent ainsi aller de quelques centaines à plusieurs milliers d'euros.
Claude BOUDREAU évoque l’importance de l’installation des plaques en hommage aux ancêtres des Acadiens en Charente-Maritime ou la création de monuments visibles, car les Acadiens et les Québécois sont sensibles aux symboles émotionnels. Claude BOUDREAU précise que le tourisme de racines peut compléter la saison touristique estivale. Il organise souvent les voyages en avril, mai, septembre et octobre en Charente-Maritime. Par ailleurs, ce sont des occasions de rencontrer des gens afin d’échanger sur l’histoire, la culture et le
patrimoine commun.
Etienne PETITCLERC, Chargé de l’action culturelle et éducative aux Archives Départementales de la Charente-Maritime :
Les liens historiques entre l'Aunis, la Saintonge et la Nouvelle-France sont anciens et significatifs. Les ressources sont riches et variées aux archives départementales de la Charente-Maritime grâce aux quatre piliers :
- Archives Maritimes : les archives des Amirautés, qui régulaient les affaires maritimes, contiennent des documents sur la police des ports, la navigation et le commerce (pêche, fourrures, etc.).
- Chambre de Commerce : les archives du XVIIIe siècle de la chambre de commerce de La Rochelle, créée en 1719, offrent de précieuses informations économiques et commerciales sur les échanges entre La Rochelle et les colonies.
- Registre Paroissial de Beaubassin : un registre de baptêmes, mariages et sépultures, ayant survécu à l'incendie de Beaubassin en 1750. Ramené à La Rochelle en 1778, il est désormais numérisé et consultable en ligne.
- Fonds de Notaires : les archives notariées de La Rochelle et de Rochefort contiennent des contrats d'engagement des XVIIe et XVIIIe siècles. Ces contrats, souvent passés par des jeunes hommes célibataires d'origine modeste, indiquent les obligations des engagés.
Les Archives Départementales de la Charente-Maritime renferment des ressources inestimables pour ceux qui s'intéressent à l'histoire de la Nouvelle-France. Avec des fonds variés et accessibles en ligne, elles offrent aux historiens et aux généalogistes des perspectives uniques sur les échanges maritimes et les vies individuelles de cette époque. Comme les contrats d'engagement des engagés vers l'Amérique du Nord sont particulièrement
révélateurs, rendant visibles des parcours souvent méconnus. Ces archives continuent d'être valorisées et élargies, contribuant ainsi à une meilleure compréhension de cette riche histoire.
Conclusion par Christophe CABRI :
Christophe CABRI, Vice-Président en charge de l’international du Département de la Charente-Maritime, adresse ses remerciements aux intervenants.
Le Département de la Charente-Maritime est riche en matière de coopération décentralisée. Il souhaite maintenant établir une collaboration avec la Région du Nouveau-Brunswick du Canada, avec qui, on l’a entendu au cours de cette tribune, il partage une histoire et des enjeux communs.
Après, une première rencontre à l'Ambassade du Canada à Paris avec Katia BLANCHARDLAPEYERE, Conseillère principale et Correspondante nationale du Nouveau-Brunswick à l'Ambassade du Canada en France, une mission d’exploration a été menée par Christophe CABRI en 2023 dans la Région du Nouveau-Brunswick. Lors de la visite de l'université de Moncton, la délégation a été entièrement convaincue de l’intérêt de travailler ensemble sur un projet liant généalogie et tourisme.
L’expérience que les intervenants ont partagée aujourd’hui est encourageante. Malgré le contexte budgétaire actuel, Christophe CABRI souhaite construire une relation de confiance avec cette région et développer le tourisme des racines. Les échanges culturels et touristiques pourraient faciliter la préparation progressive du projet d’un "Centre du tourisme de racines à Brouage".
Retour sur la tribune de l'innovation 2023 : "protection de l’enfance : regards croisés sur les alternatives au placement"
La 1ère édition des Tribunes Internationales de l’Innovation intitulée "Protection de l’enfance : regards croisés sur les alternatives au placement" a eu lieu le 1er décembre 2023 à la Maison de la Charente-Maritime à La Rochelle en présence de 3 intervenants français et internationaux :
Il a participé à l'analyse comparative des systèmes de protection de l'enfance en France et à l'international, concernant notamment la question du recours au placement et la place des familles dans l'accompagnement des enfants confiés.
Carl LACHARITÉ, psychologue de l'enfant et la famille et professeur émérite de psychologie à Université du Québec à Trois-Rivières.
Ses travaux servent de fondements au développement de services intégrés face à la négligence envers les enfants. Pour cette tribune, il a évoqué les différents programmes mis en oeuvre sur le terrain au Québec.
Chiara SITÀ, professeure en sciences associée à l'Université de Vérone (Italie).
Elle fait partie du groupe scientifique en charge du programme italien P.I.P.P.L (Programme d'intervention pour Prévenir l'institutionnalisation de l'enfant). Son intervention a porté sur l'expérience du programme et sur la définition des lignes nationales pour l'accompagnement des enfants et familles en situation de vulnérabilité.
Ce rendez-vous, donnant l’occasion de partager des pratiques innovantes à l’international, a permis à plus de 191 professionnels locaux de bénéficier d’échanges constructifs.
Les réflexions partagées entre les intervenants et le public ont été l’occasion de mettre en perspective plusieurs enjeux actuels, structurels ou conjoncturels s’imposant à l’ensemble des professionnels œuvrant dans le champ de la protection de l’enfance.
Compte-rendu de la Tribune
Présentation des domaines de recherches respectifs des intervenants
Chiara SITA évoque qu’un des champs de recherche du Programme d’Intervention pour Prévenir l’Institutionnalisation (P.I.P.P.I) porte sur les relations entre les familles vulnérables et les professionnels : une relation de pouvoir qui pose souvent des défis. Selon elle, l’objectif des professionnels devrait non seulement produire des résultats en faveur des enfants mais aussi favoriser le processus de participation et d’auto détermination des familles.
Philippe FABRY décrit ses réflexions sur une différence importante entre le système de la protection de l’enfance français et les autres pays européens, notamment la durée du placement, les besoins fondamentaux des enfants en difficulté, les familles d’accueil et la conséquence pour un enfant déplacé à longue durée, dans le cadre de ses analyses des pratiques dans différents pays à travers ses voyages d’études et à travers son regard nourri de ses fonctions actuelles et passées d’éducateur spécialisé, de sociologue et de formateur dans le secteur social.
Carl LACHARITE présente les recherches qu’il a menées sur les "négligences" subies par les enfants. La recherche dans ce domaine est moins développée que l’étude des situations d’abus physiques et sexuels. Ses travaux de recherche portaient sur l’émergence de ces négligences, l’évolution des enfants souffrant de négligences et la réaction des professionnels du secteur social face à de tels faits.
Les systèmes d’accueil dans les différents pays occidentaux : La France pourrait-elle s’en inspirer ?
Philippe Fabry propose une analyse sur les pays occidentaux en relevant deux systèmes différents :
- l’adoption ;
- le tiers digne de confiance (confier les enfants aux proches).
Les pratiques différents entre le monde anglo-saxons (Québec, Amérique du Nord et Angleterre) et l’Europe (Belgique, Suisse, Allemagne et une grande partie de l’Europe du Nord).
Face à l’augmentation de nombre d’interventions sociales au sein des familles, les pays répondent différemment. L’Angleterre propose une désinstitutionalisation de la protection de l’enfance d’une manière brutale par la durée limitée des placements et la bascule très rapide vers des projets d’adoption. Au contraire, la durée des placements est sans limite. Les pays d’Amérique du Nord dont le Québec recourent également à l’adoption en protection de l’enfance dans les situations les plus complexes, notamment quand les parents présentent des risques élevés.
Certain pays d’Europe se sont inspirés du système de la désinstitutionalisation québécoise. La Belgique, la Suisse, l'Allemagne et une grande partie de l'Europe du Nord utilisent un système hybride intermédiaire entre placement et adoption, le confiage. Ce dernier s’est développé depuis 30 ans. Il applique la théorie des cercles, qui consiste à apporter un soutien plus important aux parents pour élever leurs enfants, puis à utiliser les ressources de l’entourage (deuxième cercle) et enfin de la communauté (troisième cercle). Aujourd’hui 90% des enfants nécessitant un placement sont confiés à des proches en Espagne, deux sur trois en Belgique, 50% en Italie.
Selon Philippe FABRY, la durée de placement doit être réduite en France. Nous devons travailler sur l’article 20 de la Convention Relative aux Droits de l’Enfance qui précise les lignes directrices de l’ONU concernant la protection de remplacement et définit les étapes d'un retour à domicile réussi pour les enfants placés.
Carl LACHARITE relève l’importance de la responsabilité collective. Au Québec, la loi de la protection de la jeunesse vise à renforcer en amont cette responsabilité collective autour d’un enfant. Elle intervient en cas de mise en danger de l’enfant (sécurité et le développement de l’enfant), mais propose d’abord de maintenir l’enfant à son domicile.
En cas de placement, le dispositif "Ma famille, ma communauté" propose des conférences familiales pour mieux comprendre les défis de l'enfant. L'enfant reste généralement dans sa communauté, ce qui explique les chiffres suivant : 52% des enfants restent à domicile sous la protection de la jeunesse, 23% des enfants sont placés chez des familles d'accueil composées de personnes de la communauté, et non de professionnels et 16% sont placés chez des tiers dignes de confiance, appelé "familles d'accueil de proximité" au Québec.
Chiara SITA évoque que depuis le processus de désinstitutionalisation en 2000 en Italie, les grands établissements d’accueil sont fermés et remplacés par des structures résidentielles de petite taille. Ces structures sont gérées aujourd’hui par des petites communautés de professionnels.
En ce qui concerne les familles d’accueil, contrairement à la situation en France, ce ne sont pas des professionnels, mais des membres repérés de la famille parmi le réseau de proximité des enfants ou le réseau de familles bénévoles. Ils bénéficient d’une formation, d’une indemnité financière et ils sont suivis par les services sociaux.
Grâce à l’application du Programme d'Intervention pour Prévenir l'Institutionnalisation (P.I.P.P.I), les dispositifs de proximité solidaire se sont développés considérablement. En Italie, en cas de difficultés familiales, les professionnels de la protection de l’enfance activent une recherche aux alentours de la famille et de l'école de l'enfant, des personnes qui peuvent assumer cette fonction de proximité solidaire. Selon les dernières données, 30 000 enfants sont placés en Italie : 25% est chez les familles d’accueil, 25% dans la parenté et 50% des enfants sont placés dans les structures résidentielles gérées par les professionnels.
Comment évaluer les besoins des enfants et des ressources familiales dans les différents systèmes ?
Le système d’évaluation des besoins des enfants québécois et italiens est basé sur le référentiel "monde de l’enfant". Au Québec, chaque territoire dispose d’un service public "socio-sanitaire" qui apporte une réflexion collective à l’égard des enfants et des familles. Ce dernier organise diverses formes de concertations intersectorielles qui permettent de mieux identifier les besoins des enfants.
Par ailleurs, de nombreuses formations sont mises en place. Les outils ont été créés conjointement par des chercheurs et des professionnels. Ils ont ensuite été appliqués et évalués à la grande échelle. Les parents et les professionnels s’appuient sur ces outils afin d’aider les enfants à progresser. La participation des parents lors de ces démarches est indispensable.
En Italie, le système d’évaluation des besoins des enfants et des ressources familiales s’est inspiré du modèle québécois. Le Programme d'Intervention pour Prévenir l'Institutionnalisation (P.I.P.P.I) propose deux évaluations sur une durée de 18 mois, à partir d’un signalement, dont une évaluation effectuée au début de l’intervention et une autre effectuée après l’intervention afin de prendre en compte les changements dans les différentes dimensions du "Monde de l’enfant".
Cet outil a été conçu par le ministère du Travail et des Politiques Sociales Italien avec comme objectif :
- d’améliorer la pertinence et de réduire le taux de placements à travers un travail de requalification des compétences parentales : mettre en avant la notion d’implication des parents et valoriser les ressources parentales ;
- d’expérimenter une alternative aux placements pour les enfants négligés à travers une approche intensive et de courte durée (18 mois) de prise en charge de la famille entière ;
- de construire une communauté multi-professionnelle en impliquant les services sociaux, de santé et éducatifs.
Ce programme propose aussi une approche de responsabilité partagée.
En Belgique, un outil appelé "le fil rouge" est largement utilisé et partagé par les professionnels du secteur. L'Office de la Naissance et de l'Enfance (ONE), équivalent de notre PMI, a beaucoup investi et se charge du recrutement des bénévoles bien formés et expérimentés. Comme au Québec, la Belgique valorise la ressource citoyenne. Cette méthode est bien illustrée dans le court-métrage ou site internet "le Petit Vélo jaune".
En Espagne, la loi de protection de l’enfance oblige à exploiter toutes les ressources pour éviter le placement : les parents, les proches, l'environnement et même les voisins peuvent être ressources.
Selon Philippe FABRY, de nombreux outils cliniques ont été créés en France, malgré cela, peu d’outils communs sont partagés par les professionnels. Il faudrait donc travailler ensemble pour favoriser l'échange entre professionnels et citoyens dans des projets de territoire. De surcroit, l’environnement familial reste encore une ressource inexplorée en France.
Lors des échanges avec le public, les débats ont porté sur la méfiance envers les proches qui existe encore en France. Il semble difficile de mettre en place un appel aux tiers dans des entourages souvent fragilisés eux-mêmes. Chacun souligne pour autant, à travers les échanges des intervenants que le nombre des placements réduit grâce aux ressources familiales et à un accueil durable bénévole. Il semble qu’il est temps de réfléchir sur les alternatives au placement en France.
Selon Philippe FABRY, une autre spécialité en France, est la complexité de l’articulation entre l’Aide Sociale à l’Enfance et la justice quant à la prise de décision. Deux lois françaises ont été adoptées en 2016 et 2022 afin d’importer les modèles des conférences familiales qui a permis de réduire en moyenne 20% de placements en Europe. Malgré les mécanismes existants, les instances prennent rarement la décision de tenir une conférence familiale.
Au Québec, la décision de placement est prise par une équipe comprenant les personnes concernées par l'enfant dont les membres de la famille et du voisinage comme précisé dans le programme "Ma famille, ma communauté". Cette méthode pourrait peut-être nous inspirer.
Comment gérer la "prise de risque" en protection de l’enfance ?
Selon Carl LACHARITE, la meilleure façon de gérer les risques, c’est de les partager. La responsabilité et le risque ne devraient pas être assumés seulement par la personne désignée comme responsable de l'enfant dans le dispositif de protection de la jeunesse.
Philippe FABRY évoque que le problème majeur de l’institutionnalisation survient lorsque l’on se sent excessivement responsable. La peur du risque peut créer des tensions inévitables dans le travail social. Selon Edgar Morin, ces tensions sont dialogiques et il n’y a pas de bonne solution a priori. Il est nécessaire de penser une balance entre les risques du maintien dans la famille et les risques liés au placement.
En Conclusion
Conclusion de Marie-Christine BUREAU, Conseillère départemental déléguée en charge de la petite enfance, de la prévention et de la protection de l’enfance :
Les systèmes mis en place dans les différents pays résultent d’une histoire longue, propre à chacun, et de caractéristiques idéologiques concernant l’enfant et la famille. Cette tribune illustre la problématique complexe de l’augmentation des demandes de placements pour le monde de la protection de l’enfance, il peut être précieux de s’inspirer des actions positives. Le système parfait n’existe pas, tout cependant peut être repensé et amélioré.
Au regard des exemples présentés par les intervenants pendant cette Tribune, les ressources familiales pourraient être une ressource pertinente à exploiter en premier lieu.
La prise de risque est un aspect crucial en protection de l'enfance. Cependant, il ne s'agit pas de mettre l'enfant en danger mais plutôt de prendre des décisions concernant son placement en prenant des risques, mais mesurés.
L’important est d’avoir réfléchi collectivement, d’avoir pesé tous les bénéfices mais aussi les risques et d’avoir la conviction qu’au moment où l’on prend la décision, celle-ci nous semble être la meilleure/l’une des meilleure pour l’enfant.